Aube – Second pas sur Terre

L’histoire se déroule durant l’ère cathartique, une période durant laquelle l’être humain est condamné à vivre pendant des milliers d’années dans les bas-fonds de la Terre après l’implosion du Soleil. Les humains ont passé des siècles sous terre, tentant de « réparer » leurs erreurs passées dans l’espoir d’obtenir le pardon de Mère Nature, tout en essayant de se construire une vie aussi paisible que possible avant « Le second pas sur Terre ».
L’Homme a fait son premier pas sur Terre il y a des milliards d’années grâce à l’évolution. Maintenant, c’est grâce à sa technologie qu’il s’apprête à faire le second pas sur Terre.
Cinq minutes avant la mission « Second Pas », à travers un dialogue, deux personnages exposent les deux mentalités dominantes chez les sous-terriens.


— Nous y voilà, enfin, ce jour est arrivé, dit-elle.
— Oui, je suis tout excité, moi ! Il affiche un grand sourire.
— J’ai attendu ce moment si longtemps et pourtant… commence-t-elle.
Le jeune homme se retourne vers elle, affichant un air interrogatif.
— … Tu vois, je ne suis pas sûre que l’on mérite de remonter à la surface.
— Pourquoi tu dis ça ? C’est la meilleure chose qui puisse nous arriver !
— Justement, non ! La meilleure chose qui puisse nous arriver, c’est de pouvoir continuer à vivre ici en paix.
— Qu’est-ce que tu racontes ! Arrête avec tes conneries d’idéaliste. C’est un grand jour pour l’Homme, il va renaître ! Tu devrais te réjouir, c’est un événement unique pour toute l’humanité !
Elle se tourne vers lui, sourit tristement et lui dit :
— Tu es trop jeune pour comprendre…
— Mais oui…
— Le monde avant l’implosion était un monde de vices et de luxure. L’égoïsme et le profit personnel dominaient ! On raconte que l’implosion du Soleil est due à un groupe d’extrémistes qui pensaient que le monde était devenu ainsi parce qu’ils avaient oublié leur Dieu…
— … Blablabla et blablabla… toujours ce même refrain, dit-il en lui coupant la parole.
— … Par souci du Jugement Dernier, les croyants acceptaient de modérer leurs passions, de réformer leur comportement et de respecter les commandements divins, poursuit-elle.
Elle soupire.
— Ils voulaient éradiquer le mal, dit-elle avec déception.
— C’est une légende, un mythe, une histoire pour faire peur aux futures générations!
— Dans quel but inventer de telles histoires ?
— Préserver la paix.
— À cette époque, la cinquième guerre mondiale prit fin « grâce » à la perspective de l’implosion du Soleil.
Elle respire profondément, puis reprend :
— Le monde courait à sa perte, dit-elle d’un ton affirmatif et déterminé.
Un ancien philosophe avait dit : « Nous sommes entrés dans une ère dont l’horizon est la destruction de l’écosystème, donc de la vie humaine. Mais contrairement aux croyants face au Jugement Dernier, nous refusons d’y croire… »
— … Et c’est grâce à cette « non-croyance » qu’on a pu survivre jusqu’à présent et développer un monde aussi paisible. D’accord, l’être humain a commis des atrocités, mais il a su réagir à temps pour protéger la planète…
— … Erreur ! affirme-t-elle avec calme et sagesse.
— C’est sa vie qu’il a voulu sauver ! poursuit-elle.
— À la fin de l’ère quaternaire, il n’existait pratiquement plus d’abeilles. L’Homme avait décimé les requins, et des centaines de millions d’espèces animales et végétales avaient disparu, provoquant un désastre dans la chaîne alimentaire. Les déserts avaient recouvert la plupart des zones tropicales, les sols s’étaient érodés, et l’eau potable était devenue d’une rareté inimaginable.
Le nombre d’habitants avait, paradoxalement, augmenté. Et cette croissance avait fait peser de graves menaces sur les équilibres environnementaux. Non seulement il y eut plusieurs catastrophes écologiques et climatiques, mais celles-ci furent accompagnées de tensions géopolitiques de plus en plus violentes pour l’appropriation des ressources naturelles.
Elle s’arrête un instant pour reprendre son souffle.
— La seule chose qu’il a apprise, c’est la destruction, le mal. Il est devenu plus animal que jamais, continue-t-elle calmement.
— Arrête de dire n’importe quoi ! s’exclame-t-il, rageur.
— L’Homme est un animal capricieux, et ça, tu refuses de l’admettre. Tu es un enfant capricieux, tout comme ceux qui sont à la tête de cette mission. Tout cela n’est qu’un caprice…
— … Et la destruction du Soleil n’était pas un caprice ? dit-il d’un ton ironique, la coupant dans son raisonnement.
Elle fait mine de ne pas entendre et poursuit :
— Comme tu l’as dit, on vit dans un monde paisible. Ce monde, cette vie, c’est l’utopie que les anciens ont toujours recherchée, et nous l’avons trouvée. Pourquoi l’abandonner ? Pourquoi changer ?
— Vivre comme les anciens, à l’air libre, partir à l’aventure dans les forêts, connaître les différents climats, goûter ces fameux fruits et légumes dont parlent tous ces livres… Voyager à travers l’espace, redécouvrir différentes planètes… Refaire une façade agréable à la surface de la Terre… Reconstruire ces grandes cités qui jadis faisaient la gloire de notre planète…
— … Et la re-polluer à nouveau ? dit-elle.
— L’Homme a appris de ses erreurs. Ces siècles d’enfermement lui ont beaucoup appris. Il sait maintenant à quel point la nature est précieuse et qu’il se doit de la protéger. L’Homme a un grand cœur, il est doté d’une grande intelligence. Regarde autour de toi tout ce qu’il a construit : ces architectures, ces machines, sa science… Il est capable du meilleur…
— … Comme du pire…
— … Cette utopie, on va la recréer là-haut et continuer de vivre en harmonie, dans la tolérance et l’entraide. Rien ne changera.
— Alors pourquoi retourner là-haut, si rien ne changera ? dit-elle à voix basse.
— Les Hommes captifs s’entraident, mais une fois libres, ils s’entretuent pour gouverner ce monde… dit-elle en le fixant dans les yeux.

Les cris d’une foule en délire interrompent leur discussion.
Une voix venant d’un écran géant s’élève.
— … Nous venons d’apprendre à l’instant le départ de la navette. La mission
« Second Pas » est désormais lancée. Maintenant, nous allons entendre le discours du président des Nations du Sud. En même temps, vous découvrirez les images en temps réel de la mission…
À vous, Monsieur le Président.

— Dans moins d’une minute, vous allez assister au plus grand combat de l’humanité. L’humanité, un mot qui devrait prendre un sens nouveau pour nous aujourd’hui. Ne passons plus notre temps à penser à nos petites querelles sans importance. Nous allons être unis dans notre intérêt commun. Ce n’est pas un simple caprice. Cinq hommes vont devoir défendre notre liberté. Non pas contre la tyrannie, l’oppression ou la persécution… Nous combattons pour notre droit de vivre là-haut, d’exister là-haut. Et si cette mission est un succès, ce jour sera connu comme le jour où le monde a déclaré d’une seule voix :
Nous ne voulons pas disparaître dans les bas-fonds. Nous allons vivre, nous allons survivre à la surface.
Aujourd’hui, nous célébrons le jour de notre renaissance !

(Quelques heures plus tard)

— Nous franchissons le dernier obstacle qui nous sépare de la surface. Voilà, nous y sommes enfin ! Affirme un des cinq terranautes.
— Comment est-ce ? lui demande le chef des opérations depuis la base souterraine.
Après quelques secondes d’hésitation, le terranaute répond :
— C’est… noir.

Publications similaires