Délire macabre

— Ça fait longtemps qu’on n’avait pas fait une fête comme ça.
— Ouais, c’est cool.

Cela fait plus de deux heures que la fête bat son plein. Une quinzaine de jeunes, réunis pour célébrer l’obtention de leur diplôme, s’amusent comme des fous. Ils sautent dans tous les sens. On ne s’entend plus parler, la musique couvre tous les bruits de fond. Les quelques bougies allumées ne permettent même pas de distinguer les silhouettes.

5 h du matin. Tout le monde est presque mort, affalé sur les chaises, par terre ou sur le canapé. Ils finissent les quelques bouteilles à moitié vides. Plus personne n’a la force de prononcer la moindre phrase censée. Seule la musique en fond sonore leur permet de rester éveillés.

— Vos gueules ! J’vais tous vous tuer !
Un fou rire général éclate. Certains se réveillent enfin.
— T’es toujours aussi marrant, toi.
Contre le mur, au fond de la salle, il lève la tête avec un petit rictus et lâche :
— Ta gueule, sale pute.
La tension monte d’un coup. Un silence de mort s’installe, plus un seul sourire sur les lèvres.
— C’est bon, calme-toi, pas la peine de t’énerver.
Il sort son couteau et le lui balance dessus. La lame atterrit directement sur sa main droite. Un cri assourdissant retentit. La stupeur se lit sur le visage des autres.
— Mais t’es fou ou quoi ?! Qu’est-ce qui te prend ?! T’as perdu la tête ?!
— Chut!
— Attends, tu vas voir…
Il se lève, s’avance vers lui avec rage, les poings serrés, et dit :
— J’vais t’en mettre une, tu vas voir !
— Retourne t’asseoir, dit-il calmement. Ton problème à toi, c’est ça… T’es trop impulsif. Tu veux te battre ? Alors vas-y, viens !
Une main dans le dos, l’autre prête à parer, il attend.
Il esquive le premier coup de poing, puis contre-attaque : un coup puissant dans le ventre. Profitant de l’effet de surprise, il attrape son adversaire par le poignet, le tire vers lui et le saisit à la gorge et lui dit :
— T’es faible.
Il le repousse violemment. Puis, sans prévenir, il sort un flingue.

— La fête est finie. Toi, remets la table en place et asseyez-vous tous autour.
Ils obéissent sans un mot. Des pleurs commencent à couler sur certains visages. Personne ne comprend vraiment son geste. Une seule question hante leurs esprits : pourquoi ? Après tant d’années passées ensemble…
Il tourne autour de la table, le regard dur et assuré, les considérant comme des moins que rien
— Vous vous demandez sûrement pourquoi ?
— Tu…
— Ta gueule. Tu parleras quand je te le dirai. Pour l’instant, c’est moi qui parle. Comme je vous l’ai déjà dit, je vais tous vous tuer. Si vous croyez que c’est une blague, détrompez-vous. Quelqu’un a quelque chose à dire avant de mourir ? Une dernière volonté ?
Silence total. Seule la musique en fond comble l’atmosphère pesante.
— Ok… Je vois que personne ne veut parler. Alors je vais en désigner un.
Il pointe son flingue sur quelqu’un.
— Alors ? Rien à dire ? Rien à reprocher à personne ?
— …
Il arme son pistolet et tire. Une balle en plein front.
Des cris stridents retentissent, couvrant tout autre bruit. C’est la panique.

— Alors ? Toujours personne n’a rien à dire ? Vous voulez que je vous dise un truc de fou ?
— …
— Un truc de fou… Ahahahah !
Personne ne réagit. D’habitude, tout le monde aurait ri, ou au moins réagi. Mais là… Rien. Un silence de mort.
— On fait un marché. Si je te bats en tête-à-tête, tu nous laisses partir, hein ?
— Toi aussi, tu veux jouer le héros ? Tu crois que t’es dans un film ? Tu penses vraiment que tu peux me battre ? Viens, je t’attends. Lève-toi et montre ce que tu vaux, si tu te crois si fort !
Il se lève et s’avance, déterminé, les sourcils froncés. Il fait le premier pas…
— Mais avant, je vais mettre une balle dans le pied de tout le monde, comme ça, personne ne pourra s’enfuir ni s’interposer.
Il s’arrête net et pousse un cri de rage.
— T’es qu’une pute.

— Eh ouais, c’est ça la vie. Ne me prends pas pour un con. Alors ? Toujours prêt à m’affronter ? T’as dix secondes pour décider. Toi qui as toujours pris toutes les décisions pour tout le monde… Vas-tu continuer ? Leur vie est entre tes mains. Qu’est-ce que tu fais ?
Il baisse la tête, les dents serrées, torturé. S’il gagne, tout le monde sera sauvé… mais blessé. S’il perd, ils mourront tous. Que faire ? Prendre ce risque ?
— 6… 5…
Il réfléchit encore et encore. Comme si le destin du monde reposait sur ses épaules.
— 2… 1… 0… Toujours pas de réponse ? Très bien, je vais accélérer les choses.
Il pointe son arme sur quelqu’un au hasard et tire dans sa jambe.
— Enfoiré !
— Alors, ta réponse ? dit-il, comme si de rien n’était.
Il repointe son arme sur une autre personne, prêt à tirer…
— Toi, si t’arrêtes pas de pleurer, je t’en fous une.
Son regard change. Il n’a plus l’air aussi sûr de lui. Quelque chose le trouble. Il se prend la tête entre les mains et murmure des mots incompréhensibles. Il recule, heurte le mur du fond, tourne la tête dans tous les sens, s’arrache les cheveux.
— Laisse-moi le faire comme je l’entends… murmure-t-il.
Puis, il s’effondre au sol, les mains sur la tête, gigotant dans tous les sens.
— Non !!! Non !!! NON !!!

Les autres ne comprennent pas. Mais l’un d’eux a un déclic. Il pousse discrètement son pote pour qu’il tente de lui arracher son arme pendant sa crise.
Doucement, à pas de loup, il s’approche…
À deux pas de lui…
— Vous me prenez pour un con ou quoi ?!

Il lève son arme et tire une balle dans le pied de l’un d’eux. Il relève la tête, son visage transformé. Redevenu aussi impassible et sérieux qu’au départ.
— Retournez à vos places !!!

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