La cité du paraître
Zx s’impatiente en cours. Il balance ses pieds de droite à gauche. Il sort son portable, puis le range après y avoir jeté un coup d’œil.
— Il est quelle heure ? demande Xy1, assis dans la rangée située à sa droite.
— Je ne sais pas, répond-il.
— Tu viens juste de regarder ton portable !
— Je n’ai pas fait attention à l’heure.
— Tu me donnes ton numéro, Zx ?
La sonnerie retentit.
— Salut les gars, je dois y aller, dit Zx en sortant précipitamment de la salle.
— Il est trop bizarre, Zx, dit Xy1 en regardant Xy2.
— Ça fait cinq mois qu’on le connaît, et on ne sait toujours rien sur lui. À chaque fois que je lui demande son numéro, il esquive.
— Il doit nous snober. Avec ses superbes fringues et son talent, il doit penser qu’on n’est pas du même monde que lui, dit Xy2.
— Non, il n’est pas comme ça. C’est quelqu’un de généreux et toujours prêt à aider les autres… Je l’ai suivi une fois jusqu’à chez lui. C’est vrai qu’il habite dans une résidence pavillonnaire chic, mais…
— Non, c’est autre chose, ajouta Xy1.
Zx descend du bus un arrêt avant sa destination. Il a envie de marcher. La nuit est sombre. Une légère brise d’hiver lui caresse le cou. Seuls quelques réverbères dessinent la silhouette des arbres qui bordent la route. Il entreprend de descendre la rue, son carton à dessin à la main. L’air solitaire, il observe.
« Pourquoi… » se dit-il.
Tout en descendant la rue, il s’imagine être quelqu’un d’autre. Les lumières émanant des pavillons qui jalonnent son chemin lui renvoient une certaine douceur. Il s’imagine que ces familles vivent une vie tranquille, sans encombre. Il les envie.
Il continue d’avancer, observant les différentes lumières qui lui inspirent des sensations contrastées. Il traverse une rue transversale, puis entre dans sa résidence.
Le lendemain, à l’école.
— T’as pas remarqué que Zx ne vient quasiment jamais en cours le samedi ? dit Xy1.
— Oui, il a sûrement autre chose à foutre. Il peut se le permettre, répond Xy2 avec un petit sourire.
La sonnerie retentit. Les cours sont finis pour aujourd’hui.
— Viens, on va chez lui, dit Xy1.
— Si tu veux, répond Xy2 d’un ton blasé.
— Tu crois que c’est une bonne idée ? demande Xy2, confortablement installé dans le bus.
— De toute façon, c’est trop tard. On est bientôt arrivés.
Xy1 regarde par la fenêtre, puis s’exclame :
— Merde, on a raté l’arrêt !
— Ce n’est pas grave, on va descendre à la prochaine. On voit encore le château d’eau, il n’habite pas loin.
Quelques minutes plus tard, ils descendent du bus et marchent en direction du château d’eau. Après dix minutes, ils se perdent. Ils décident de suivre leur instinct et finissent par déboucher sur une grande rue marchande. Ils s’apprêtent à demander leur chemin lorsque Xy1 aperçoit un mendiant.
Ce qui le marque, c’est son chapeau de paille avec un ruban rouge. Et ce regard triste… Les yeux levés vers le ciel, il semble prier au fond de lui. Il a l’air désespéré. Xy1 suit son regard et aperçoit le château d’eau.
Encore quelques minutes de marche, et ils tombent sur un couloir. Ils le traversent et débouchent sur une place circulaire. Tout autour, des maisons, plus belles les unes que les autres.
Ils frappent à une porte au hasard. Pas de réponse. Ils insistent. Toujours rien. La porte s’entrouvre.
— Y’a quelqu’un ? crie Xy1.
Silence.
Ils entrent.
Ils restent stupéfaits.
De l’extérieur, la maison semblait belle, spacieuse, somptueuse. Mais à l’intérieur… Une seule et petite pièce de quelques mètres carrés, sale et lugubre. Les déchets jonchent le sol. Même l’obscurité ne parvient pas à masquer l’insalubrité et le désespoir qui règnent dans cette pièce.
— Qu… qu’est-ce que c’est que cette maison ? pense à haute voix Xy2.
— Ils vont sûrement la détruire et en reconstruire une autre.
— L’odeur me donne envie de vomir.
— Ce sont sûrement des squatteurs.
— Allons-nous-en !
Ils sortent précipitamment et vont sonner à une autre porte.
Toc, toc, toc !
Aucune réponse. Ils ouvrent. Même constat.
— C’est quoi ce merdier ? dit Xy2.
Ils passent à une autre maison. Même constat.
— Tu as dû te tromper de résidence. Personne ne vit ici. C’est inhumain ! Partons.
Alors qu’ils s’apprêtent à fermer la porte, Xy1 est attiré par un objet.
— Attends ! Ne ferme pas la porte ! Regarde, y’a un truc là-bas.
Xy1 s’approche pendant que Xy2, grimaçant, balaie la pièce du regard. Son regard s’arrête sur un autre objet, dans un coin. Il s’avance.
— Regarde ! dit Xy1.
— Ce n’est qu’un téléphone portable en plastique… Et là-bas, des ustensiles de cuisine en piteux état. On dirait que quelqu’un vit ici.
— Sûrement des squatteurs, comme tu l’as dit, répond Xy2.
Ils continuent leur exploration, jusqu’à ce que Xy2 s’arrête, stupéfait.
— Viens voir ! Vite ! s’écrie Xy2.
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
— Regarde cette veste sous plastique… Ça ne te dit rien ?
Xy1 reste bouche bée.
— Et ces chaussures, dans cette boîte ? ajoute Xy2.
— Il y a aussi un carton à dessin…
Ils l’ouvrent.
— Non… impossible…
Il n’a pas le temps de finir sa phrase.
Soudain, la porte s’ouvre.
Ils se retournent, le cœur battant.
Une silhouette apparaît. Elle porte des lambeaux de vêtements. Elle est sale. Presque écœurante. Aucun des deux ne parvient à distinguer son visage.
La silhouette fait un pas en avant et peut enfin voir les visages de Xy1 et Xy2.
Xy1 aperçoit un objet dans sa main. Un chapeau de paille.
Son regard se fige dessus.
Ce chapeau… porté par ce mendiant regardant le ciel d’un air désespéré.
La silhouette suivit le regard de Xy1, regarda son chapeau puis le met rapidement sur sa tête, de façon à cacher son visage.
Xy1, les yeux mouillés, lève les yeux vers son visage encore flou.
La silhouette le regarde dans les yeux, prête à faire demi-tour.
Xy1 avance d’un pas, les larmes aux yeux.
D’un ton attristé, il murmure :
— Zx ?